mardi 25 mars 2014

Documentaire : Fickou, héros malgré lui


Nouveau monstre du rugby français, Gaël Fickou a grandi à la cité Berthe, un quartier chaud de la Seyne-sur-Mer où le football est roi. Le centre toulousain y a appris le rugby dans la rue, sans se douter du destin qui l'attendait. Coup de projecteur.

Une tour de seize étages. « Regardez, on habitait là, au 5e », pointe Jérémie Fickou. La Seyne-sur-Mer, un dimanche soir d'hiver, à la cité Berthe. Un quartier sensible, celui de Gaël Fickou, trois-quart centre du XV de France. « Chaque fois que je revois la tour de mon enfance, ça fait quelque chose », lance le métronome haut-garonnais. « Là, vous voyez, les petits trous dans le hall de l'immeuble ? On essayait d'y faire passer le ballon par des passes, des chisteras… ». Rugby de rue. « On se lançait des défis sans arrêt, se souvient Gaël Fickou. Je ne dis pas que ces jeux avec mon frère et ses copains, plus âgés, m'ont fait arriver en Top 14, mais ça m'a donné plus d'aisance gestuelle, c'est sûr. Je dormais avec le ballon. » Même si Sana, le père, n'aimait pas cet objet ovale. Inconnu, dangereux. « Je ne comprenais rien, j'avais peur », confie cet homme de soixante-cinq ans, sec, débarqué du Sénégal à trente ans, qui se déplace avec la même grâce féline que son fils.

C'est Annie, la maman, forte femme que toute la cité salue d'un : "Bonjour madame Fickou ! Vous voulez qu'on vous aide à porter vos courses ?" qui a payé la première licence de Gaël, en cachette. Un premier tremplin dans la destinée unique du jeune talentueux. Il avait treize ans, était capitaine de son équipe de foot. Un défenseur central, grand, élégant et précis, pisté par Sochaux et Monaco. « Un jour, raconte Christophe Graziani, son entraîneur, Gaël vint me voir. "Je vais aller au rugby… Mais je prends deux licences." Je lui ai dit : "Non, tu n'en prends qu'une." Les premiers temps, il n'osait pas couper avec le foot. » Il y parvient, pourtant. Premier tournoi de rugby, au Pont-du-Las, quartier à l'entrée de Toulon : « En restant humble, j'ai traversé le terrain lors de mon premier match, contre le RCT. J'ai marqué deux essais en finale. »

À quinze ans, le voilà de l'autre côté de la Rade, au RC Toulon. À la cité Berthe, le stade Mayol paraît si loin, comme inaccessible, à même pas 10 bornes. Ici, c'est foot en tant que première et unique langue. Mais pas pour Gaël et sa troupe. Une enfance… Que le gamin insouciant traverse au sprint. Fickou, Fickou, Fickou ! Toujours surclassé, jusqu'à débouler chez les Bleus à dix-huit ans, en mars 2013 contre l'Ecosse. Il a alors quitté La Seyne, Toulon, pour finalement poser ses valises à Toulouse. « Le RCT restera mon club de cœur, où Tana Umaga me faisait rêver. C'est à Toulon que je voulais jouer, à la base. Mais je ne regrette pas du tout mon choix. »

Désormais, lorsque le pyromane toulousain embrase les défenses adverses, Berthe rugit. Dernier dégât en date : la victoire arrachée face à l'Angleterre (26-24) en ouverture du Tournoi des VI Nations, après un rush de plus de 40 mètres du prodige varois. « C'est comme si on marquait, nous, les gens d'ici », glisse Roger Matteuci, coach de Gaël à l'US Seynoise et né dans la cité. La fierté de toute une armada. « Un gars m'a envoyé un mail de prison pour me féliciter, ajoute Fickou. Mon message est simple : tout le monde peut y arriver. Et en plus, dans les cités, on a ce truc en plus, d'être combattants naturellement, de ne rien lâcher. On doit se dire, comme moi : "Tu as la chance d'avoir un potentiel au rugby, fonce ! Deviens pro." À Toulouse, c'était : "Bats-toi pour être titulaire." Puis en équipe de France. » C'est fait.

Au courant du danger qu'il parsème, la totalité des écuries du championnat surveille l'ancien toulonnais comme le lait sur le feu. Alors qu'il soufflera sa vingtième bougie demain, Gaël Fickou possède la fibre et le talent pour inscrire son nom au Panthéon des plus grands joueurs de France. Voire du Monde.

(Article rédigé par Keyvan Malavielle)

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